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Tout va finir ce soir, pensa Evan. D’une façon ou d’une autre, ce sera la fin de toutes ces années de mensonge. Soit pour moi, soit pour Jargo.
Mitchell roula vers le nord en direction de la 75 Ouest – surnommée l’Allée des Alligators. Puis, lorsqu’il bifurqua vers l’ouest, le ciel se dégagea et Evan sentit une décharge d’adrénaline monter dans sa chair et dans ses os. Ils écoutèrent une station d’informations de Miami. McNee était morte, abattue par un agent de police tandis qu’elle tentait de fuir la fusillade à Miami Beach.
« Jargo ne tuera pas Carrie tout de suite. Ils voudront savoir tout ce que sait la CIA – ils prendront leur temps. Jargo ne peut pas se permettre de laisser une autre taupe infiltrer son réseau.
— Est-ce qu’il va la torturer ? »
Torturer. Pas le genre de chose qu’on souhaitait voir arriver à la femme qu’on aimait.
« Oui. » La réponse tomba sans appel dans l’obscurité de la voiture. « Tu dois oublier Carrie, Evan. Si tu continues de penser à elle… ou à ta mère, tu mourras. Tu dois te concentrer sur l’avenir immédiat. Rien d’autre.
— Il nous faut un plan.
— Les opérations de secours ne sont pas mon fort, Evan. Nous ne sommes pas un groupe d’intervention.
— Tu es tueur à gages, non ? Considère ça comme un contrat. Tu dois nous débarrasser de Dezz et Jargo.
— Mais d’habitude, je ne suis pas obligé de protéger une personne non entraînée.
— C’est mon combat autant que le tien. »
Mitchell se racla la gorge.
« J’y vais seul. Tu restes caché dehors. Ils s’attendront à ce que je revienne si je ne te trouve pas. Je dirai que tu n’as toujours pas refait surface, que rien n’indique que la police t’ait mis la main dessus. J’expliquerai que la mort de McNee a été annoncée à la radio, mais que j’ai entendu sur la fréquence de la police qu’elle avait en fait été capturée vivante. Comme Jargo a volé une voiture civile, il n’aura pas pu écouter les rapports de police.
— Espérons.
— Espérons. Ils savent que si McNee est prise vivante, le FBI et la CIA vont la harceler de questions. Nous devons faire vite. » Mitchell jeta un coup d’œil en direction de son fils. « Ces événements les placent dans une situation de faiblesse. Ils vont vouloir faire disparaître toutes les traces au repaire avant de mettre les bouts.
— Le faux portable. Ils vont l’emporter ?
— Oui, à moins qu’ils n’aient déjà décrypté le mot de passe grâce un programme.
— Impossible, dit Evan.
— Qu’est-ce que tu as mis sur le portable ?
— Disons que les champions de poker que j’ai interviewés en tournant Bluff m’ont appris quelques trucs. L’importance de la guerre psychologique.
— Quand ils sortiront de la maison, Jargo marchera seul, Dezz mènera probablement Carrie menottée. Ils seront tous les deux armés et aux aguets. Je me tiendrai en retrait pour les avoir tous deux dans ma ligne de tir. J’abattrai Dezz en premier car il aura son arme pointée sur Carrie. Et puis Steve, acheva-t-il d’une voix tremblante.
— N’hésite pas, papa. Il a tué maman. Je te jure que c’est vrai.
— Oui. Je sais, je sais. Est-ce que tu crois que ça rend les choses plus faciles ? C’est toujours mon frère. »
Un long silence plana avant qu’Evan reprenne la parole.
« Et s’ils veulent tuer Carrie avant de partir ? Dans les Everglades… rien de plus simple que de faire disparaître un corps.
— Alors, répondit Mitchell, je mentirai et leur dirai que je veux la tuer moi-même. Lentement. Pour lui faire payer de t’avoir monté contre moi. »
Le ton calculateur de son père donna le frisson à Evan.
« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée que tu y ailles seul. Rien ne t’oblige à mener mon combat.
— Nous ne réussirons que s’ils pensent que nous ne sommes pas ensemble et que nous ne nous sommes pas vus.
— Soit, papa. Est-ce que je peux te poser une question ?
— Oui.
— Est-ce que tu aimais maman ?
— Evan. Bon sang. Oui, de tout cœur.
— Parce que tu n’as pas vraiment l’air bouleversé. Je me disais que votre mariage avait peut-être été arrangé, pour vous servir de couverture.
— Non, non, mon fils. J’étais fou d’elle. Mon frère aussi. C’est la seule fois que je l’ai battu à quoi que ce soit. Quand Donna m’a choisi. »
La nuit était noire et vaste. Evan n’avait jamais vu les Everglades ; l’endroit semblait désert – le seul signe de présence humaine était l’autoroute – mais la plaine boueuse, l’eau et l’herbe semblaient grouiller de vie. Mitchell emprunta l’autoroute 29 vers le sud, à la lisière du parc national des Grands-Cyprès. Pas la moindre lumière signalant une habitation ou un commerce, juste la courbe de la route s’enfonçant dans les ténèbres. Son père arrêta la voiture sur le bas-côté.
« Cache-toi dans le coffre. Casse la veilleuse pour qu’elle ne s’allume pas. »
Evan sentit la panique monter en lui. Leur plan laissait franchement à désirer. Il restait tant de choses à mettre au point, mais ils n’avaient pas le temps.
« L’allée mène à l’arrière de la maison, là où se trouve un grand perron. Je vais me garer face à la maison. Le coffre sera tourné face à un mur de brique gris à l’arrière de la propriété. C’est le garage qui abrite le générateur. Cours t’y cacher aussi vite que possible. Reste derrière jusqu’à ce que je vienne te chercher. Si je manque l’une des cibles en sortant, tu auras Dezz et Jargo dans ta ligne de mire.
— Papa. Je t’aime. »
Evan saisit la main de son père dans l’obscurité.
« Je sais. Moi aussi. Grimpe dans le coffre. »